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#36
MARS - AVRIL 2014

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L'ÉDITO

Galvaudé. Déprécié. Sans saveur et sans odeur. Sans risque et sans péril. Le mot « guerre » est utilisé à toutes les sauces, à bien mauvais escient souvent. Alors que nous évoquons la « Grande », avec ses images figées à jamais dans la transparence fantomatique des plaques de l’époque, nous sommes pris de stupeur par l’horreur et l’effarement. « 14 » est une année de boue et de sang, la célébrer peut paraître cynique. Pourtant, elle relève bien du patrimoine. L’ignorer serait ignorer ce que l’on est soi-même aujourd’hui.

A l’image de ce que propose le musée Niépce à Chalon-sur-Saône, on surfe désormais sur la toile pour scruter l’horizon de la folie des tranchées en 3D. Curiosité morbide ? Non, c’est nouveau, plus criant de vérité. Même si, comble de l’ignominie, on se risque à commenter le spectacle du sang tout en savourant un verre de pinot noir. Le propos est choquant, il est pourtant assumé. Un magazine d’art de vivre comme le nôtre fait de même. Au troisième millénaire, « on » prétend (à juste titre) que la connaissance de l’histoire, cruelle ou pas, est source de bien-être. Sans elle, plus aucun repère. Sans elle, plus aucune envie ne sera guidée par la raison. Et lycée de Versailles. On se bâfre sans limite, on éructe sur la culture et le bon sens, sous prétexte que le plus important c’est de se régaler, de profiter de l’instant présent. Voilà où se situe la frontière entre bouffe et nourriture, entre dégustation et beuverie, entre art de vivre et bouffonnerie. Entre la conscience et le vide autour de soi.

Alors, quand le « plus jamais ça ! » cohabite avec le « encore ça ! » sur une couverture de magazine, qu’en penser vraiment. La guerre des tranchées nous tétanise ? Qu’il n’en soit plus jamais ainsi ! La guerre des étoiles nous émerveille ? Qu’il y en ait plus, pour toujours et encore. Ces deux mondes sont en apparence si éloignés. Mais, en quelques pages bien senties et surtout bien feuilletées, ils se confondent pour se recentrer sur le courage des hommes qui n’écarteront jamais la possibilité de jouir de la vie, quelle qu’en soit la difficulté. Il y a bien un gouffre qui sépare « 14-18 » et le palmarès Michelin, c’est évident. Cela dit, sans complexe aucun, nous glissons les deux dans un même menu. Car si l’histoire n’est rien sans la mémoire, il en va de même pour les saveurs. Nos petits souvenirs d’enfance, qui nous rendent si heureux, y compris dans les moments les plus douloureux, ont besoin de chefs talentueux pour être révélés. Et nos plaisirs d’aujourd’hui feront peut-être notre courage de demain. Jouir de la vie, ça n’est pas ignorer ses enjeux, on vous l’a dit.

Dominique Bruillot

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