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#39
SEPTEMBRE - OCTOBRE 2014

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L'ÉDITO

La mémoire est à géométrie variable. Vive, elle prolonge le temps et se nourrit de témoignages à mettre en boîte pour les générations futures. Courte, elle fait penser au poisson dans son bocal autant qu’à notre quotidien sans lendemain pour la pensée. Elle reflète l’amnésie du monde qui nous gouverne et ne tire que trop rarement les leçons de l’histoire. Elle implique le déjà-vu et n’écarte pas le risque de la reconduction du tragique.Puis il y a la mémoire qui flanche, voire la perte de mémoire. On aurait bien aimé se souvenir, pourtant tout semble disparaître dans un épais brouillard intérieur, à l’insu de notre plein gré. La mémoire d’éléphant étant réservée à une élite peu partageuse, celle-ci n’en fait d’ailleurs pas forcément le meilleur usage. Donc, quand le collectif s’empare des événements pour les commémorer, il prétend vouloir réveiller la mémoire pour le bien de tous. C’est le devoir de mémoire, celui qu’on habille de cérémonies, au son du clairon, sous les couleurs du drapeau. Porté par la « bonne conscience » généralisée et récupérée au vol par les opportunistes, ce devoir de mémoire tombe dans le panneau des raccourcis et des clichés. Il se complaît, par facilité, dans l’éloignement de la vérité originelle. La hiérarchisation historique des événements et des enjeux, le degré de souffrance des uns, la cupidité des autres s’effacent alors au profit d’une démarche marketing du souvenir, au détriment d’une réalité oubliée, plus cruelle et moins héroïque qu’on ne veut bien le dire.Dans certains pays, c’est la taille des statues qui fait la taille des hommes. Dans sa lecture des monuments et des noms de rues de Bourgogne, l’universitaire Jean-Yves Boursier livre sur la base de ce genre de constat une interprétation passionnante de cette mémoire entretenue par nos institutions et nos collectivités. Les témoins les plus silencieux des conflits qui ont dévasté le monde du XXe siècle, du fait même de leur silence, ne sont-ils pas les absents de cette mémoire collective officiellement orchestrée ? La commémoration, fût-elle élégante et bien organisée, rend-elle le juste hommage à ses enfants morts pour la France ? Au cœur de cette théâtralité d’un autre âge, au style peu renouvelé, que retiennent nos enfants d’aujourd’hui, dans un monde où les mots « guerre » et « terrorisme » ont évolué d’une façon aussi trouble ? Bien des questions pour peu de réponses. Juste quelques bribes de mémoire.

Dominique Bruillot

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